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Droit en ligne

 

En matière de congédiement, la Cour d’appel juge que les prestations d’assurance-invalidité ne sont pas déduites de l’indemnité de départ payable en vertu du Code civil du Québec

Dans l’affaire Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond--Sainte-Catherine c. Girard, 2022 QCCA 1171, la salariée, congédiée alors qu’elle est à l’emploi de l’employeur depuis 35 ans, présente une demande en justice à la Cour supérieure. Par ce recours, elle demande que lui soit versée une somme tenant lieu de délai-congé de 36 mois, des dommages punitifs, la réparation des dommages moraux subis et le remboursement d’honoraires extrajudiciaires. Dans un jugement rendu le 11 novembre 2019, la Cour supérieure accueille en partie sa demande. Notamment, le juge ordonne le versement d’une somme tenant lieu de délai-congé de 24 mois de laquelle est soustraite une partie des indemnités d’invalidité reçues par la salariée en vertu de son régime d’assurance collective.

L’employeur se pourvoit contre le jugement devant la Cour d’appel du Québec (ci-après, « la Cour »). Par voie d’appel incident, la salariée conteste aussi certaines conclusions du juge, notamment celle voulant que l’indemnité valant délai-congé doit être réduite vu le versement d’indemnités d’assurance. La Cour, sous la plume de la juge Gagné, j.c.a., accueille en partie l’appel incident de la salariée et ordonne le paiement d’une somme totale supérieure à celle octroyée en première instance.

Vu les arguments soumis de part et d’autre, la Cour d’appel réitère certains principes applicables en matière de congédiement.

À propos de la durée du délai-congé, la Cour rappelle que le droit d’obtenir une indemnité tenant lieu d’un délai-congé raisonnable est un droit d’ordre public et que l’indemnité de 24 mois accordée en première instance n’est pas un maximum absolu ou un plafond au Québec et que tout dépend des circonstances propres à chaque cas. Elle souligne aussi que la durée du délai-congé est une question de faits. Considérant la position privilégiée du juge et la déférence due, la Cour n’intervient pas sur cette question.

Sur la mitigation des dommages, la Cour souligne qu’il revient à l’employeur de démontrer que le salarié manque à son obligation de mitigation, qu’il s’agit d’une obligation de moyen qui s’évalue selon le critère objectif de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. La Cour rejette les arguments de l’employeur voulant que le juge ait erré en concluant que l’employeur ne s’était pas déchargé de son fardeau.

L’indemnité de délai-congé inclut généralement l’ensemble des avantages pécuniaires, notamment les bonis et augmentations. La Cour le réitère en citant sa jurisprudence. Ce faisant, la Cour indique qu’il revenait à l’employeur de démontrer que la salariée n’aurait pas eu droit aux bonis et augmentations prévus à son contrat. En l’instance, le juge n’a pas erré en concluant qu’il a échoué à faire cette démonstration.

À propos du montant de l’indemnité pour dommages non pécuniaires, la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu de réviser la conclusion du juge voulant que l’employeur ait abusé de sa faculté de résiliation unilatérale. Cependant, elle conclut que le juge a erré dans la détermination du préjudice indemnisable alors que la salariée a été indemnisée, en partie, pour des dommages qu’elle aurait pu obtenir de la CNESST. Elle se rapporte alors au récent arrêt Costco Wholesale Canada Ltd. c. Roadnight, 2021 QCCA 17, portant sur le régime sans faute de la CNESST.

 Quant aux vacances, la Cour convient que l’employeur a erré en accordant une somme pour des vacances accumulées qui avaient, en fait, été payées.

La Cour dispose ensuite du débat portant sur l’application de l’article 1608 du Code civil du Québec (ci-après «C.c.Q.») à la présente situation alors que la salariée a reçu des prestations d’invalidité en vertu du régime d’assurance collective auquel elle participait.

Pour rappel, en première instance, le juge détermine qu’il faut déduire de l’indemnité tenant lieu de délai-congé la somme équivalente à la contribution de l’employeur au régime d’assurance collective en vertu duquel la salariée a été indemnisée. La Cour se porte en faux contre cette conclusion. Elle indique que l’article 1608 du C.c.Q. s’applique chaque fois qu’un salarié reçoit des prestations d’invalidité d’un assureur, peu importe si l’employeur paie en tout ou en partie les cotisations au régime.

La juge Gagné écrit : « Conclure autrement aurait pour effet de transformer l’assurance invalidité au bénéfice du salarié en assurance qui garantirait l’employeur contre les conséquences pécuniaires de son obligation de donner un délai-congé raisonnable (une sorte d’assurance responsabilité) » (par. [85]). Si, souligne-t-elle, une telle solution peut entrainer une forme de double indemnisation, elle est d’avis que cela est conforme à la solution retenue par le législateur. Elle se rapporte alors aux commentaires de la ministre de la Justice lors de l’adoption du Code civil du Québec. Elle remarque : « Selon l’article 1608 C.c.Q., l’obligation du débiteur (l’employeur) de payer des dommages-intérêts en réparation de ce préjudice n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier (le salarié) reçoive une prestation d’un tiers (l’assureur). L’application de cette disposition en matière de contrat de travail me paraît conforme au rôle préventif de l’obligation de réparer ainsi qu’à la volonté du législateur de ne pas décharger l’employeur de son obligation, d’autant qu’il s’agit ici d’une obligation d’ordre public » (par. [90])

La juge Gagné souligne, au passage, qu’elle est en désaccord avec l’obiter du juge Dalphond, j.c.a., dans Musitechnic services éducatifs inc. c. Ben-Hamadi (LINE). Ce dernier indiquait alors « que l’article 1608 C.c.Q. n’est pas applicable en pareil cas puisque la prestation d’invalidité est reçue par l’intimé non pas en raison de son congédiement sans motif suffisant, mais de sa condition personnelle avant ce congédiement » (par. [79]). Selon l’avis de la juge Gagné, l’article 1608 C.c.Q. s’applique même si les causes d’indemnisation — en l’instance, le délai de congé et l’invalidité — diffèrent.

 D’ailleurs il n’est pas tout à fait exact de prétendre qu’il y a double indemnisation entre l’indemnité valant délai-congé et les prestations d’invalidité. La Cour souligne, en effet, que les prestations d’assurance sont l’objet de l’obligation de l’assureur en vertu du régime et ne peuvent être assimilées à une indemnité pour un préjudice subi.

 Ce faisant, la Cour conclut qu’il ne fallait pas réduire l’indemnité valant un délai-congé en raison des prestations d’invalidité versées.

 Enfin, la Cour conclut que le juge n’a pas erré en rejetant les dommages réclamés par la salariée à titre de remplacement de son fonds de pension. La Cour indique notamment que l’article 2091 du Code civil du Québec ne permet pas d’échapper aux effets de la rupture même du lien d’emploi.