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Droit en ligne

 

ENTRAVE AUX ACTIVITÉS SYNDICALES ET CONTRAVENTION À L’OBLIGATION DE NÉGOCIATION DE BONNE FOI : LE TAT ORDONNE AU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC À PAYER 315 000$ EN DOMMAGES PUNITIFS

Le 14 décembre 2023, le Tribunal administratif du travail a accueilli une plainte déposée contre le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS), les employeurs représentés par le CPNSSS ainsi que le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), M. Christian Dubé, leur reprochant d’avoir entravé leurs activités syndicales en modifiant unilatéralement les conditions de travail prévues dans les conventions collectives. Un des syndicats demandeurs a aussi déposé une plainte pour contravention à l’obligation de négocier de bonne foi.

En effet, le MSSS a publié plusieurs directives ministérielles prévoyant notamment l’imposition de la rémunération des heures supplémentaires à taux double pendant la période estivale 2022 lorsque certaines conditions étaient remplies et créant un statut d’emploi particulier exclu du champ d’application de ces conventions collectives.

Pour les associations syndicales, bien que cette mesure temporaire soit favorable à leurs membres, cette modification unilatérale des conditions de travail sans aucune discussion ou négociation avec le syndicat entrave les activités syndicales et porte atteinte au droit d’association. En fait, les employeurs n’ont jamais informé au préalable les syndicats de leurs intentions avant de publier ces directives qui prétendaient répondre à la nécessité et à l’urgence de trouver du personnel dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Or, les associations syndicales ont mis en preuve qu’ils ont tendu une perche au MSSS dès le mois de mai 2022 en invitant les représentants patronaux à convenir de mesures incitatives pour accroître la disponibilité de main-d’œuvre lors de la prochaine période estivale.

Dans cette décision, le Tribunal affirme que rien dans la loi ne permet au MSSS de contrevenir au Code du travail et au droit fondamental protégé par les chartes qu’est la liberté d’association qui inclut l’obligation de négocier de bonne foi avec les associations syndicales.

Il mentionne aussi que la COVID-19 ne peut servir d’explication aux directives ministérielles alors qu’elles ont été prolongées à deux reprises lorsqu’il n’y avait pas de vague de COVID-19. L’urgence alléguée ne constitue donc qu’un prétexte pour imposer unilatéralement des mesures incitatives sans l’aval des syndicats, affirme le juge.

Le Tribunal conclut que la conduite des employeurs a eu pour effet de rompre directement le rapport de force et de porter atteinte au rôle le plus fondamental des associations, soit la négociation des conditions de travail de leurs membres.

À cet égard, le juge est sévère à l’égard des défendeurs :

« [114] Par ailleurs, il faut méconnaitre totalement les relations du travail ou faire preuve d’aveuglement pour prétendre que l’octroi unilatéral du paiement des heures supplémentaires à taux double n’a aucun effet négatif sur le processus de négociation collective du simple fait que les organisations syndicales n’en demandent pas l’annulation.

[115] Par leurs actions, les défenderesses discréditent les associations auprès de leurs membres qui pourraient désormais mettre en doute l’efficacité de la représentation syndicale. Or, le travail des associations pour mettre en place des mesures pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre et l’essoufflement du personnel a été court-circuité par des décisions unilatérales qui érodent son pouvoir de représentation. Les organisations syndicales sont aussi placées dans la position inconfortable de devoir arbitrer les intérêts opposés de leurs membres au regard de l’application de directives ministérielles qui comportent plusieurs conditions et exclusions. Il y a aussi l’impossibilité d’assumer le rôle de « chien de garde » quant au respect des règles entourant une mesure qu’elles n’ont même pas négociée.

[…]

[158] Par ailleurs, l’État n’est pas le seul employeur aux prises avec un problème de rareté de main-d’œuvre. Alors que l’on devrait s’attendre à ce qu’il prêche par l’exemple en négociant avec les associations syndicales des mesures pour contrer cette rareté, il incite plutôt à la violation du droit d’association et envoie le message aux employeurs d’écarter leurs vis-à-vis syndicaux en modifiant unilatéralement les conventions collectives. »

Sur cette base, le Tribunal accueille la plainte pour entrave aux activités syndicales et la plainte pour violation de l’obligation de négocier de bonne foi.

L’aspect le plus intéressant de cette décision réside dans l’octroi d’un montant impressionnant de dommages punitifs pour « dénoncer une atteinte aussi substantielle au droit d’association et afin de dissuader les défenderesses à répéter la conduite reprochée. » En effet, le Tribunal ordonne au Gouvernement du Québec (MSSS), à Christian Dubé à titre de ministre ainsi qu’au CPNSSS de verser à chaque syndicat une somme de 45 000$, soit 315 000$ de dommages punitifs au total.

Cette décision envoie, selon nous, un message clair à l’État-employeur, autant pour le secteur de la santé et des services sociaux que de celui de l’éducation, de négocier de bonne foi avec les syndicats et de discuter avec ces derniers pour trouver des solutions discutées au problème de la pénurie de main-d’œuvre qui vise tous les secteurs.