Les griefs d’interprétation dans l'industrie de la construction – Analyse de la décision Commission de la construction du Québec c. Électricité Tri-Tech inc., 2022 QCCA 1392 (CanLII)
Cette décision récente et importante de la Cour d’appel vient clarifier la portée des griefs d’interprétation dans le milieu de la construction.
Cette décision fait suite à un grief d’interprétation déposé par la FTQ-construction visant à déterminer si certains travaux effectués étaient visés par la définition d’industrie lourde prévue dans la convention collective du secteur industriel. Dans une sentence arbitrale rendue le 17 décembre 2018 (ci-après la « sentence arbitrale »), l’arbitre déclare que les travaux en question, soit les travaux de construction de l’usine AP&C, sont visés par la définition d’”industrie lourde” et que les salariés affectés doivent recevoir les bénéfices correspondants à ce type de travail.
Suite à cette décision, la Commission de la construction du Québec (ci-après « CCQ ») a intenté, à la Cour du Québec, une action contre cinq employeurs affectés aux travaux de construction de l’usine afin de réclamer les bénéfices prévus à la convention collective du secteur industriel. Face à cette demande, les cinq entrepreneurs ont soumis, en défense, les mêmes motifs que ceux soulevés par l’ACQ (Association de la construction du Québec) devant l’arbitre, soit que les travaux effectués ne correspondaient pas à la définition d’« industrie lourde ». Considérant la sentence arbitrale, la CCQ a demandé le rejet de ces moyens de défense en vertu du principe de la chose jugée.
Le juge de la Cour du Québec rejette dans une décision rendue le 23 juillet 2021 la Demande en cours d’instance de la CCQ en irrecevabilité et en rejet des défenses. Le juge conclut que la sentence arbitrale n’a pas l’autorité de la chose jugée dans le contexte dont il est saisi. Selon lui, la sentence arbitrale qui résulte d'un grief d'interprétation a pour seul objet de fournir des indications non contraignantes à la CCQ dans sa décision d'entamer ou non une poursuite civile au nom d’un salarié.
Dans sa décision du 17 octobre 2022, la Cour d’appel accueille l’appel de la CCQ qui était appuyée par la FTQ-Construction agissant à titre d’intervenante.
La Cour d’appel rappelle que pour que l'autorité de la chose jugée s'applique, le jugement, ou en l'espèce, la sentence arbitrale, doit être définitif et avoir été rendu par un tribunal compétent dans une matière contentieuse. De plus, comme l'indique l'article 2848 C.c.Q., les parties, la cause et l'objet de la demande doivent être les mêmes que ceux du jugement.
La Cour d’appel énonce que l’analyse de la Loi R-20 (Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l’industrie de la construction) permet de conclure que la sentence arbitrale qui résulte d’un grief d’interprétation est définitive (sous réserve de la possibilité de demander un contrôle judiciaire).
La CCQ est tenue de respecter la décision de l’arbitre sur le grief d’interprétation. Quant aux employeurs, ils sont implicitement représentés par l’ACQ lors de l’arbitrage. En prévoyant que les associations représentatives et non les parties ou personnes qu’elles représentent peuvent introduire un grief d'interprétation, le législateur a voulu faire en sorte que tous les employeurs et tous les salariés d'un même secteur bénéficient de la certitude qu'apporte une telle sentence et évitent ainsi la multiplication des procédures et le risque de jugements contradictoires. Bien que la Loi R-20 ne prévoit pas explicitement que l'ACQ représente tous les employeurs pour les fins du grief d'interprétation, un tel lien de représentation entre les employeurs et les associations sectorielles d’employeurs, dont l’ACQ, est implicite dans le texte de la Loi R-20. Si l'ACQ est l'agent des employeurs aux fins de l'application de la convention collective, il en découle qu’elle agit également à ce titre lorsqu'elle dépose un grief dans le but de clarifier son interprétation et d'en assurer l’application.
Par ailleurs, l'objet de l'arbitrage, qui visait à obtenir une déclaration, n'est pas précisément le même que celui des instances civiles dans lesquelles une condamnation monétaire est demandée. Néanmoins, le fond du litige, à savoir la qualification du travail effectué à l'usine, soulève exactement les mêmes questions dans les deux cas, de sorte qu’il y a identité d'objet.
Ainsi, la Cour d’appel conclut qu’il y avait chose jugée et que la requête en irrecevabilité de la CCQ aurait dû être accordée. Le texte intégral de la décision est disponible ici.