images.squarespace-cdn.com-60089811501762450.png

Droit en ligne

 

La Cour d’appel confirme que le droit de gérance de l’employeur est limité et qu’il doit respecter les lettres d’entente

Dans la décision Hydro-Québec c. Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ), 2022 QCCA 1714, la Cour d’appel du Québec a dû trancher un litige quant à la possibilité pour Hydro-Québec (ci-après « l’Employeur ») de modifier unilatéralement des conditions de travail en invoquant son droit de gérance.

 Afin de bien apprécier la teneur de la décision de la Cour d’appel, il est primordial de faire un bref survol des faits. À cet égard, le cœur du litige repose sur des lettres d’entente qui, depuis les années 80, prévoient des conditions de travail particulières pour les opérateurs mobiles d’Hydro-Québec (ci-après « les Travailleurs ») qui ont un horaire atypique et qui doivent travailler dans des régions recluses du Québec. Ces lettres d’ententes sont divisées en deux sections : les articles 1 à 8 prévoient les horaires de travail et les articles 9 à 13 prévoient des primes hebdomadaires, une indemnité fixe de repas ainsi que la possibilité d’être logé gratuitement dans une résidence de l’Employeur.

La problématique de ce dossier survient en 2017, lorsqu’en raison de l’évolution technologique, les Travailleurs peuvent dorénavant faire une partie importante de leur travail à distance. L’Employeur décide alors de cesser le versement des primes hebdomadaires ainsi que l’indemnité de repas et ferme la résidence gratuite qui était fournie aux Travailleurs.

 Un grief a alors été déposé par le Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) (ci-après « le Syndicat) et un arbitre de grief a été saisi du dossier. Celui-ci a conclu, en interprétant les lettres d’entente, que l’Employeur pouvait utiliser son droit de gérance pour justifier le retrait des primes, de l’indemnité de repas et du logement gratuit pour les Travailleurs. L’arbitre a considéré que ces conditions de travail plus avantageuses avaient été mises en place pour compenser les opérateurs mobiles pour leur travail qui nécessitait des déplacements dans des endroits éloignés. Cette compensation ne devenait alors plus nécessaire si les séjours éloignés n’étaient plus requis par l’Employeur. L’arbitre a donc rejeté le grief.

À la suite de cette décision, la Cour supérieure du Québec puis la Cour d’appel du Québec ont été saisies de ce dossier par l’entremise d’un contrôle judiciaire. Elles ont toutes deux tranché que la décision de l’arbitre de grief était déraisonnable et que le grief syndical devait plutôt être accueilli.

Pour en arriver à une telle conclusion, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont eu un raisonnement similaire.

Selon les deux tribunaux, le texte des lettres d’entente était clair et aucune ambiguïté ne permettait à l’arbitre de grief de les interpréter. De surcroît, bien que l’arbitre n’avait pas à interpréter le texte, ce dernier a commis une erreur lors de son interprétation. Dans sa décision, l’arbitre a considéré que les articles 1 à 8 (concernant les horaires de travail) continuaient de s’appliquer alors que les articles 9 à 13 (concernant les primes, l’indemnité repas et le logement gratuit) pouvaient être écartés. La Cour d’appel a tranché que ces dispositions étaient indissociables les unes des autres et qu’une telle interprétation dénaturait le texte des lettres d’entente.

De plus, la Cour d’appel a jugé que l’arbitre de grief avait commis une erreur fondamentale en considérant que les lettres d’entente prévoyaient un « remboursement de dépenses réellement encourues » alors qu’il s’agissait plutôt de conditions de travail. À cet effet, la Cour d’appel a rappelé que l’Employeur ne pouvait pas modifier unilatéralement des conditions de travail essentielles telles que des primes hebdomadaires, et ce malgré l’existence du droit de gérance de l’Employeur. Effectivement, le droit de gérance est limité à ce que prévoit la convention collective et ses lettres d’entente.

 Il est toutefois pertinent de noter que la juge Cotnam de la Cour d’appel était dissidente dans cette décision, qu’elle aurait accueilli l’appel et rejeté le grief du Syndicat. Selon elle, l’interprétation des lettres d’entente faite par l’arbitre n’était pas déraisonnable et l’Employeur pouvait, par le biais de son droit de gérance, abolir les primes hebdomadaires, l’indemnité de repas et le logement gratuit pour les opérateurs mobiles.